Entre deux hivers
- Jean Martin

- 20 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 juil.
L’histoire des trois filles de la Colline
Photos et texte par Jean Martin
La Ferme de la Colline du Chêne est une ferme ancestrale qui appartenait à l’origine à la famille Enright. Souhaitant préserver la vocation agricole de cette terre, quatre familles ont par la suite allié leurs forces pour créer une coopérative de solidarité qui aujourd’hui valorise les idées neuves de la relève agricole, mais aussi contribue à l’agriculture locale et biologique. C’est ainsi que les astres se sont alignés pour Virginie Gendron, Frédérique Voisard et Martine Pelletier. Les trois ne sont pas des amies de longue date et ne se sont même jamais côtoyées sur les bancs d’école. C’est donc quelque chose d’improbable qui les unies. Est-ce l'appel de la terre? Ou un besoin de simplicité volontaire? Je suis allé à leur rencontre afin d’y trouver réponse, mais aussi pour satisfaire ma propre curiosité face à ce qui anime encore les humains à faire ce genre de choix de vie dans les temps actuels ; incertitude économique, changements climatiques, instabilité sociale et j’en passe.
La relève agricole existe belle et bien. En plus, elle se trouve non loin d’où j’habite. J’ai rencontré les trois agricultrices lors d’une assignation pour le compte de l’office touristique de la municipalité. Mon mandat était simple : Photographier les trois protagonistes de la Colline du Chêne pour fin de promotion. Sur le coup je n’ai pas fait de cas, c’était une prise de vue comme bien d’autres.
Quand j’ai mis le pied à la Colline, c’était comme remonter dans le temps. On aurait dit que le lieu possédait encore toutes ses traces d'autrefois. Heureusement la modernité a failli à sa tâche pour ainsi laisser ces quelques acres intacts et tranquilles. « C’est un choix pour nous de ne pas mécaniser la ferme. Ça fait partie de nos valeurs » mentionne Virginie avec conviction. C’est avec cette philosophie que les trois cultivatrices ont pris les guides de la ferme en 2023. J’ai donc tout suite été surpris de voir à quel point elles étaient faciles d’approche, et en les côtoyant davantage tout au long de la création de cette éditorial, je me suis lié d’amitié avec elles. Leur enthousiasme et leur vision les rendent aussitôt contagieuses.

Malgré ses origines montréalaises, Virginie a eu l'appel de la région. Elle a donc pris le cap vers la Côte-Nord où elle a acquis l’ensemble de ses connaissances en agriculture biologique. Elle s’est ensuite dirigée vers un Baccalauréat en travail social, mais la terre a eu raison d’elle. « J’aime ça être dans le jus, j’aime ça être occupée, j’aime ça la résolution de problèmes, c’est ce que la ferme m’apporte ».
Frédérique pour sa part a grandi dans Rosemont et elle a étudié en enseignement de l’éducation physique. « Pour moi ce n’est pas tant l’agriculture qui m’appelle. C’est d’être avec du monde que j’aime, d’être dehors et faire quelque chose qui a du sens. Ce travail n’est pas superficiel, l’agriculture c’est la base. C’est nourrir! C’est simple, mais ce n’est pas plus que ça. Ça me valorise ! » dit-elle avec beaucoup de candeur.

De son côté, Martine est originaire de St-Guillaume. Elle est la seule à venir d’une famille d’agriculteurs. Elle a complété à Victoriaville un diplôme en Gestion et technologie d’entreprise agricole en 2022 pour finalement rencontrer ses futures alliées à la Cuisine collective d’Hochelaga-Maisonneuve. « Fred et Virg me parlaient de créer une coopérative agricole et je voyais ça comme quelque chose de gros, et là est venu l’opportunité de la Colline du Chêne » mentionne-t-elle.
« Oui en effet, on s’est rencontrées à Montréal, dans l’est de l’île. On a toutes les trois participé à développer ce projet de terre collective sur un terrain vacant dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. On a cliqué et on a commencé à idéaliser un projet, pas trop loin de Montréal, dans les Cantons-de-l’Est de préférence. » ajoute Frédérique. « Curieusement, une annonce est passée qui mentionnait : Ferme recherche relève agricole. C’était trop beau pour être vrai, c’est comme ça que le destin s’est fait. » ajoute Virginie. C’est donc à l’automne 2023 que les trois amies devenaient des associées et les maîtres d’œuvre de la Colline du Chêne à Bromont.

Au-delà de la vocation, de l’amitié et de l’air de la campagne, il y a une réalité qui reste inévitable, celle bien sûr de l’argent. C’est un travail à la fois valorisant mais très difficile financièrement. Il y a les enjeux liés au climat, au soutien des différents paliers gouvernementaux et aux habitudes de consommation des gens pour ne nommer que ceux-ci. Avec un grain de sel, Virginie mentionne : « C’est un éternel recommencement de saisons en saisons. Plus les années avancent et moins il y a de subventions. Nous avons dépassé la trentaine donc nous faisons de moins en moins partie de la relève. Pour nous l’aide des gouvernements ce n’est jamais certain. »
Ce qui était censé être pour moi un mandat de 15 minutes s’est transformé en documentaire. Je voulais en apprendre le plus possible sur ce qu’implique une saison entière dans le domaine maraîcher. Cependant, s’il y a une chose que je retiens, c’est qu’une terre cultivable c’est un bien collectif dont la valeur est inestimable. La seule chose qui peut préserver ce genre de richesse c’est par la présence d’une relève agricole enthousiaste, soutenue et valorisée par l’ensemble de la population. « En plus, il y a davantage de femmes aujourd’hui dans les cultures maraîchères mais c’est très dur et j’avoue que c’est pas mon cœur qui va décider de ma longévité dans ce domaine, c’est plutôt mon corps » mentionne Frédérique avec un sourire en coin. « On ne parle pas assez des femmes en agriculture et pourtant y’en a beaucoup et elles sont toutes très dévouées. Les grandes cultures sont surtout générationnelles et de facto plus masculines. C’est plus récent l’agriculture de petite surface. Donc on voit du nouveau monde arriver dans le domaine et c’est très bien » complète Virginie.

La saison 2024 s’est terminée avec le départ de Martine. Pour différentes raisons, elle a été confrontée à tirer sa révérence. La vie lui promettait autre chose en retournant dans la grande ville. Je me suis donc entretenu une dernière fois avec elle par téléphone et avant de raccrocher, elle a simplement ajouté « Malheureusement on ne parle pas assez positivement de l’agriculture de nos jours. Il y a des choses incroyables qui se passent dans le domaine. On est loin de l’agriculture destructrice de l’époque mais encore aujourd’hui on présente le domaine d’une façon assez négative qui n’est pas à la hauteur du progrès qui s’est réalisé ».
Heureusement, le propre des tendances c’est le changement. Et la tendance à la Colline c’est la proximité avec les gens. C’est facile d’y aller et de saluer Virginie sur son quatre-roues ou de jaser avec Frédérique pendant qu’elle rince les radis dans un bain de fortune installé précairement sous l’abri du côté. Cependant, je me souviens du moment où Martine m’a expliqué avec beaucoup de détails comment monder mes tomates pour les mettre en sauce. Depuis j’attends juste cette nouvelle récolte pour préparer mon hiver. C’est peut-être ça la Colline ; le court moment qui nous prépare à la dure réalité de la saison froide. Mais c’est aussi l’amitié et le sentiment d’appartenance. Depuis, Martine m’a confié qu’elle ne regrettait pas son choix et elle conclut en ajoutant « C’était beaucoup de gestion la ferme, mais c’était quand même fou de pouvoir vivre ce projet avec des amies dans un endroit comme la Colline! ».
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